Aujourd’hui on admet quand même le coté quelque peu réducteur du DSM et de ses critères diagnostic… C’est également le cas dans les Troubles de l’alimentation et du comportement alimentaire.

Brève revue des troubles cliniques du DSM connus du grand public :

  • Anorexie mentale
  • Boulimie
  • Hyperphagie ou binge-eating

Les troubles moins connus qui figurent dans le DSM (que je simplifie pour ne pas y passer la journée) :

  • Pica (tu vois cet épisode de Grey’s Anatomy du gars qui mange des instruments?)
  • Mérycisme (régurgiter ce qui est avalé, mais pas dans le cadre d’une anorexie, boulimie, hyperphagie, etc)
  • Restriction ou évitement de l’ingestion d’aliments (en gros : moins manger mais pour des raisons sensorielles comme le dégoût pour certaines textures ou goûts)
  • Les autres troubles dits « spécifiés » ou « non-spécifiés » (aka tout ce qui a des critères de ce qu’on vient de mentionner mais le diagnostic est impossible en l’état car les signes sont plutôt anarchiques ou insuffisants pour déclarer un TCA précis)

Et puis y a les choses dont on va parler que le DSM ne permet pas de reconnaître :

  • L’orthorexie (sur cet article)
  • La restriction cognitive (sur un autre à venir)

Eléments de définition

L’orthorexie est définie comme suit (Cena et al., 2019) :

The terms used by the different authors concerning the feelings accompanying the search for food were fixation, obsession and concern/preoccupation on food quality/ healthy eating. These terms were moreover emphasized through different adjectives: obsessive, exaggerated/excessive, unhealthy, compulsive, pathological, rigid/controlling, extreme, monoideistic, maniacal, time-consuming, and overwhelming. The suitable food was mostly identified as healthy/proper/ correct, sometimes organic, (biologically) pure, safe, while the harmful aspect of food was defined as unhealthy, more rarely impure or related to « food production » . The diet or eating habits are usually defined as restrictive, seldom also as ritualised, strictly controlled, selective food avoidance, and distorted; the risk and consequences on the individual nutrition status and well-being are referred to as shortage of essential nutriments, malnutrition and underweight, changes in social relationships because of the constant thought on healthy food.

Source : Cena, H., Barthels, F., Cuzzolaro, M., Bratman, S., Brytek-Matera, A., Dunn, T., … Donini, L. M. (2019). Definition and diagnostic criteria for orthorexia nervosa: A narrative review of the literature. Eating and Weight Disorders – Studies on Anorexia, Bulimia and Obesity, 24(2), 209‑246. https://doi.org/10.1007/s40519-018-0606-y

Mon anglais n’est pas parfait mais je me risque à une petite traduction :

Les termes employés par les différents auteurs concernant les ressentis qui accompagnent habituellement la recherche de nourriture étaient « fixation » , « obsession » et « inquiétude/ préoccupation pour la qualité des aliments / une alimentation saine » . Les termes ont en outre été soulignés par différents adjectifs: obsessionnel, exagéré / excessif, maladif, compulsif, pathologique, rigide / contrôlant, extrême, monoidéaliste, maniaque, fastidieux et accablant.

L’aliment approprié était généralement identifié comme étant sain / propre / correct, parfois bio (label), pur biologiquement (non-transformé) , sans danger, tandis que son aspect nocif était défini comme malsain, plus rarement impur ou lié à « l’industrie alimentaire ».

Le régime alimentaire ou les habitudes alimentaires sont généralement définis comme restrictifs, strictement contrôlés, destinés à éviter les aliments de façon sélective et déformés, rarement ritualisés ;

Le risque et les conséquences sur l’état nutritionnel et le bien-être individuel font référence aux « carence en nutriments essentiels » , « malnutrition » et « insuffisance pondérale » , « changements dans les relations sociales en raison de la pensée constante pour une alimentation saine » .

Traduction bancale mais suffisante pour un blog 🙂

Bon, on en conclue quoi? Que l’orthorexie c’est un trouble caractérisé par une obsession pour le « manger sain » qui provoque de l’anxiété et de la restriction.

Bon ça s’inscrit quand même dans la même dynamique que certains nouveaux troubles comme « l’éco-anxiété » , mais à une échelle plus alimentaire et qui concerne la santé individuelle.

L’orthorexie, un trouble non reconnu à ce jour

Pourtant le terme apparu en 1996 (S. Bratman), « orthorexia nervosa » , le trouble n’apparaît pas dans le DSM. Pourtant, Bratman n’a pas cessé de se battre pour le faire reconnaître, même si en octobre dernier (2018), il admettait que les critères étaient un peu flous..


Voici donc les critères proposés par Barthels et al. (2015) :

Tableau 1 – Critères diagnostic
(Barthels, Meyer, & Pietrowsky, 2015)

Critère A : préoccupation persistante et intensive pour une alimentation saine, des aliments sains et une alimentation saine

Critère B : anxiété prononcée vis-à-vis de laquelle il faut éviter autant que possible les aliments jugés malsains selon les croyances subjectives

Critère C :

  • C1. Au moins deux idées surévaluées concernant l’efficacité et les bienfaits potentiels des aliments pour la santé.
    • ET / OU
  • C2. La préoccupation ritualisée d’acheter, de préparer et de consommer des aliments, ce qui n’est pas dû à des raisons culinaires, mais provient d’idées surévaluées. Toute déviation ou impossibilité de respecter les règles en matière de nutrition engendre des peurs intenses qui peuvent être évitées par un strict respect des règles.

Critère D :

  • D1: la fixation sur une alimentation saine provoque des souffrances ou des altérations d’importance clinique sur le plan social, professionnel ou autres domaines importants de la vie et / ou affecte négativement les enfants (par exemple, nourrir les enfants de manière inappropriée),
    • ET / OU
  • D2. Syndrome de carence dû à un comportement alimentaire désordonné. Un aperçu de la maladie n’est pas nécessaire, dans certains cas, le manque de perspicacité pourrait être un indicateur de la gravité de la maladie

Critère E : La perte de poids et l’insuffisance pondérale prévues peuvent être présentes, mais les inquiétudes concernant le poids et la forme ne doivent pas être négligées.

Informations pour le diagnostic différentiel : Pour le diagnostic de l’orthorexie, les critères A, B, C et E doivent être clairement remplis. Le critère D devrait être rempli au moins partiellement. Si le critère E n’est pas clairement rempli, le diagnostic d’anorexie mentale atypique est recommandé.


Le tableau suivant, extrait de l’ouvrage de McGregor (2018), reprend un comparatif avec la boulimie et l’anorexie que nous connaissons mieux :

En quoi l'orthorexie ressemble à la boulimie et l'anorexie?
Tableau 2 – Comparatif TCA et orthorexie
(McGregor, 2018)

Comparaison avec l’hypocondrie?

J’aimais bien ce mot « hypocondrie », mais le DSM 5 l’a remplacé par « Autre trouble à symptomatologie somatique spécifié de type crainte excessive d’avoir une maladie », brève ou pas, avec ou sans comportement excessif relatif à la santé.

Pause.

« avec (ou sans) comportement excessif relatif à la santé »

C’est pas justement le cas de l’orthorexie?

On ouvre donc la voie à des comorbidités… Ou à des motivations intrinsèques au comportement pathologique. Ça donne envie d’ouvrir une recherche processuelle!

Et la restriction cognitive?

Cela fera l’objet d’un autre article très prochainement, car le lien entre les deux est absolument délectable.

Cet article de blog est une exploration qui tend à s’enrichir, elle me sert plus de post-it où je remets toutes les choses essentielles autour d’un questionnement rapide… Donc ce n’est pas du tout exhaustif mais ce n’est pas le but non plus!

Bibliographie :

  • Barthels, F., Meyer, F., & Pietrowsky, R. (2015). Orthorexic eating behavior. A new type of disordered eating. Ernahrungs Umschau, (62(10)), 156‑161. https://doi.org/10.4455/eu.2015.029
  • Cena, H., Barthels, F., Cuzzolaro, M., Bratman, S., Brytek-Matera, A., Dunn, T., … Donini, L. M. (2019). Definition and diagnostic criteria for orthorexia nervosa: A narrative review of the literature. Eating and Weight Disorders – Studies on Anorexia, Bulimia and Obesity, 24(2), 209‑246. https://doi.org/10.1007/s40519-018-0606-y
  • McGregor, R. (2018). Orthorexie: Quand manger sain devient obsessionnel. Malakoff: Dunod.